7 leçons rapportées d’Inde

Je prends le risque de sonner comme un cliché d’européenne lambda qui a vu la lumière lors de ses vacances en Inde. Mes proches ont toujours “Mange, Prie, Aime” dans un coin de la tête quand je leur raconte mes frasques, mais je souhaitais vous partager ici quelque chose de différent. Mes apprentissages sont certes spirituels, mais je pense qu’ils sont emprunts d’un pragmatisme trop souvent oublié dans les divers récits de voyage aux tournures plus ou moins initiatiques. 

Je me suis retrouvée en Inde par hasard, par flemme même – si je suis totalement honnête. Je n’ai jamais rêvé de partir dans ce pays, je ne pratiquais pas le yoga régulièrement avant d’y aller et je pense même que je n’avais jamais goûté aux spécialités culinaires avant mon départ. Un soir d’octobre j’ai bu un verre de rouge chez mes voisins, j’y ai rencontré Margaux, à qui j’ai dit que je prévoyais un départ en mission humanitaire mais que je me sentais débordée par la perspective de chercher une association fiable… Elle m’a alors donné le contact du fondateur d’une association avec qui elle avait été bénévole et c’est ainsi que le 1er janvier 2019, je décollais pour l’Inde, terrifiée par cette idée saugrenue de partir seule affronter l’inconnu.
Je rentre à peine de mon troisième séjour dans ce pays que j’aime toujours autant. Je ne vais pas m’étendre sur tout ce qui nourrit la relation spéciale que j’ai à l’Inde, ce n’est pas le sujet de cet article. Il est cependant grand temps de faire le point sur ce que mes séjours et la culture indienne m’ont apporté.

1. On peut toujours s’adapter

Je raconte souvent en rigolant l’anecdote d’un train en retard de plus de 10h00 pour lequel le chef de gare m’a assuré “we’ll adjust, don’t worry”. Je ne voyais pas comment on pourrait “ajuster” 10h00 de retard, cependant étant une des seules étrangères sur le quai en pleine nuit, j’ai été forcée de constater que j’allais devoir m’ajuster moi. Inutile de souffler, râler, menacer la hiérarchie, rédiger un tweet assassin, non. Ici lorsqu’il y a du retard on s’achète un chai, un kachori on s’assoit par terre et on échange des regards complices avec les dizaines (centaines?) de personnes qui elles aussi “s’ajustent” à cet aléa qui finalement n’est pas si terrible.
Ce jour-là, j’ai pu terminer tranquillement ma broderie sur le quai, un jeune homme m’a offert un chai puis m’a parlé de ces études en me posant des questions sur les bourses en Europe et le meilleur moyen de rejoindre un master en France ou au Royaume Uni. J’ai pris plein de photos avec des inconnus, je dois figurer dans de nombreux albums de famille en Inde et cela m’amuse beaucoup.
En Inde on s’adapte, on patiente, on fait autrement, on bricole une solution, on fait un détour, on n’abandonne pas. On contourne, parfois très lentement, les obstacles, à l’image des rickshaws qui contournent les vaches au milieu des ruelles. 

Le flexibilité est une qualité que l’Inde nous apprend, elle nous a à l’usure, elle vient éroder nos falaises d’impatience et de rigidité pour nous montrer que nous pouvons toujours nous ajuster. 

Cette qualité me semble essentielle à cultiver pour évoluer plus sereinement dans le monde de l’entrepreneuriat mais aussi en tant que salarié, c’est une aptitude qui se cultive et qui permet, je pense, d’être bien plus efficace et pertinent lors de la résolution de problèmes et de conflits.

La colère ne vous mènera nulle part

Malgré un trafic d’une densité à faire pâlir le périphérique parisien en veille de vacances scolaires je reste stupéfaite par le flegme inégalé des chauffeurs en Inde. Les véhicules se frôlent, les klaxons annoncent la présence de chacun, … On croirait à un capharnaüm mais il n’en est rien! Le ballet fonctionne savamment et sans jamais un mot plus haut que l’autre la fluidité naît dans le chaos. Vous me direz que la majorité de deux roues simplifie l’affaire, c’est certain, mais je crois que les qualités de patience et d’adaptabilité des indiens sont à saluer. 

Lors d’une descente sur une route de montagne étroite je me suis retrouvée coincée derrière un car, notons qu’en France, sur une telle route les cars seraient tout simplement interdits. Et bien ce sont les conducteurs de divers véhicules qui se sont relayés pour s’entraider dans les passages difficiles, s’indiquant où et comment manoeuvrer. Imaginer la scène, un homme qui remonte 25 mètres d’embouteillage pour simplement débloquer le trafic. Impensable chez nous n’est-ce pas? Le tout en préservant son calme. 

L’Inde m’a appris que garder son calme servait bien plus les situations d’urgence, de crise et de conflit que de s’énerver, et je pense qu’il me faudra une vie pour exceller à cet art délicat. Garder son calme quand le voisin force le passage (au sens propre comme figuré), ne pas s’emporter quand on se sent floué ou face à une injustice. Manoeuvrer avec calme pour débloquer les situations, garder la tête froide.

Je disais en rigolant que finalement la véritable expérience du yoga en Inde se fait lorsqu’on conduit… à bon entendeur!

3. Le sens de la communauté

Mon point précédent m’amène à celui-ci en tout logique. Un de mes amis indiens les plus proches m’a avoué avoir souffert d’une profonde solitude lorsqu’il est venu pour quelques semaines en France lors de ces études – avant notre rencontre. J’ai d’abord mis cela sur le compte de son tempérament timide et renfermé, mais en prenant le temps d’observer le fonctionnement de la population en Inde j’ai dû me rendre à l’évidence : le problème venait d’ailleurs. 

Si vous regardez le monde s’activer autour de vous en Inde vous constaterez rapidement que personne n’est jamais vraiment seul. Les indiens font rarement les choses seuls et au-delà de cela ils ont un sens accru de la communauté qui est nourri par l’importance de la structure familiale dans leur culture. On apprend dès petit à vivre avec les aînés, comme nous le faisions en France jusqu’à il n’y a pas si longtemps – je me souviens partager la maison de mes grand-parents avec mon arrière-grand-mère l’hiver pour qu’elle ne se retrouve pas seule dans son hameau le temps de la saison la plus rude de l’année.

Je pense que ce sens de la communauté fait que l’entraide est innée, ainsi nous pourrions être choqué lorsqu’on tient la porte à un inconnu, ou qu’on aide une personne âgée dans un escalier de n’avoir aucun signe de remerciement. Mais ici c’est normal, ce n’est pas une faveur. Ni d’aider l’autre avec la porte, l’escalier, la circulation, son chemin. Si vous avez besoin d’aide vous verrez vite 5 personnes s’accumuler autour pour vous donner la bonne direction qui repartiront sereinement même si vous ne les remerciez pas, c’est la norme. C’est un fondamental. 

Je pense que développer notre sens du service, de la communauté et de l’autre ne pourra que nous aider au point de vue sociétal large mais aussi dans la manière dont nous gérons nos entreprises.

4. Rien ne sert de courir

Je me permets d’insister sur le point de la lenteur. L’Inde comme vous l’avez compris nous apprend la patience. Pourquoi cet apprentissage est-il si important à mes yeux? Parce que nous ne savons plus prendre le temps! Or, comment s’offrir une réflexion nuancée, agir dans des environnements complexes si nous ne prenons pas le temps long?
J’ai constaté que dans les pays qui ont des saisons très chaudes comme l’Inde, on a appris à ralentir car à un moment donné il est impossible d’avancer sous 45°C. Alors comme mon amie Annalisa, florentine incarnation de la dolce vita, me dit toujours : “prends le temps Clem!”
L’Inde m’a appris que je pouvais faire une pause, que c’était même vital de savoir juste être. Seethu qui m’a donné quelques cours de yoga à Udaipur m’a répété plusieurs fois “let yourself just be”. Cela semble si évident, si simple, si naturel. Mais tout dans nos vies est fait pour nous programmé tels des métronomes au rythme endiablé. 

Je suis intimement persuadée que le désapprentissage de la course à la productivité vide de sens est la clé pour donner à nos entreprises un élan d’intensité et de profondeur. Une façon de repenser ce que nous créons, pourquoi nous le créons et comment. Utiliser l’inertie pour ne pas courir comme des poulets sans têtes vers des objectifs dénués de sens.
Je pense qu’un bon dirigeant, manager, leader, est capable de prendre le temps de ralentir pour affiner son processus de prise de décision et de ne plus se faire gangrèner par la culture du ASAP.


J’ai une pensée pour l’explication que donne certains investisseurs concernant le choix de leur lieu de vie, prenant en compte la qualité de vie mais aussi l’éloignement du brouhaha et de la frénésie des grands centres de l’économie mondiale afin de ne pas voir leur processus de prise de décision/réflexion pollué par l’injonction à la rapidité qui émane de ces lieux dits “stratégiques” (j’en parle ici)

5. Le sens du service

Une autre notion intéressante en Inde est que personne ne vous dit jamais non. Lorsque vous allez acheter un vêtement, des épices, un voyage, un repas, … on ne vous dira jamais non! On envoie un employé chercher le pantalon que vous souhaitez dans un autre magasin (je vous parle de petites échoppes concurrentes, pas de grandes chaînes ayant le stock réparti sur divers emplacements), on cherche la recette sur Google (j’ai appris au gérant d’un hôtel à faire des crêpes pour qu’il puisse les ajouter à sa carte), on vous propose un quelque chose “presque pareil” qui n’a en réalité rien à voir, le tout en vous servant un chai, en vous montrant des photos de chez soi, de ses anciens clients, ou bien en vous faisant lire les commentaires élogieux sur Trip Advisor. 

Alors si le résultat est souvent approximatif, et force régulièrement un sourire amusé, l’expérience elle est toujours appréciable. Oui vous êtes dans le bazar et dans le bruit mais comme le veut la tradition vous êtes traité comme un dieu (littéralement dans l’hindouisme l’invité est un Dieu chez vous). On ne peut pas en dire autant en France et je pense que nous avons beaucoup à apprendre du sens du service des vendeurs de tissus indiens.
Rakesh qui m’a vendu mes premiers foulards en 2019 se souvenait encore de moi 4 années plus tard alors que nous n’avions eu AUCUN contact. Il m’a accueillie comme si je faisais partie de sa famille à chaque visite dans sa boutique. Vicky nous a accueilli chez lui pour nous faire cuisiner avec sa femme et ses enfants. Mukesh nous a emmené directement à son entrepôt pour avoir plus de choix de tissus…
Imaginer un service où l’expérience que vous offrez à votre client est réellement votre priorité. Sachez que je me moque que le pantalon que j’ai fait faire ne soit pas exactement comme sur la photo que j’ai montrée, car j’ai été traitée avec tant de soin que le résultat compte finalement moins que l’expérience globale que j’ai vécu. À méditer.

6. Tout est une question de perspective

J’ai réalisé mon dernier séjour en famille, et j’ai pu constater à quel point l’Inde donne cette première impression de désorganisation la plus totale. On arrive et on se dit “non mais enfin, comment ça peut fonctionner?!”. On arrive en étant rempli de nos préjugés, de ce qu’on sait et de l’assurance très arrogante qu’on sait comment ce serait mieux. 

Cela me fait penser à la manière dont un nouvel employé arrive dans une équipe, ou bien un consultant arrive dans mon business et semble savoir tout mieux avant même d’avoir observé. 

On voudrait croire qu’on saura mieux faire que les indiens, qu’on détient des recettes magiques. Mais l’Inde a son Histoire, sa culture, ses modes de fonctionnement, qui font qu’on ne peut lui appliquer un raisonnement français. On doit pour la comprendre s’imprégner d’elle, prendre sa perspective. C’est exactement ce qu’explique Shane Parrish dans son livre Clear Thinking avec l’exemple de Michael Abrashoff et de l’USS Benfold (je ne peux que vous recommander vivement la lecture de ce livre): il est essentiel d’être conscient de ses angles morts pour pouvoir approcher une situation.
Je pense que l’Inde m’a appris à ne pas m’arrêter à ma première impression et à simplement adopter le point de vue de mon interlocuteur, c’est un exercice extrêmement difficile – surtout lors d’une situation de conflit – mais qui permettra de parvenir à une solution plus juste pour les deux parties. Comprendre l’autre pour mieux travailler avec lui est essentiel, que ce soit dans une collaboration professionnelle, dans une amitié, dans votre couple… Souvent on reste buté en pensant avoir raison, on oublie que l’autre partie possède sa sensibilité propre, son histoire, ses valeurs, etc. 

7. De l’importance de croire en quelque chose

Je terminerai avec ce point un peu plus spirituel mais qui est selon moi une des clés de voûte de ce que j’ai appris en Inde.
Je suis partie la première fois après un burn out. J’en avais assez de tout. Je ne croyais plus en rien, pas même en moi. En Inde il y a des temples à tous les coins de rues et l’appel à la prière des muezzines rythme les journées. Sans m’en apercevoir, j’ai pris l’habitude de prier en déposant des fleurs dans les temples, d’aller chanter, de simplement apprécier la beauté des statues qui sont disséminées partout.

En Inde on a la foi, la foi solide en l’univers. Cette fois dicte des traditions, des modes de vies (certains assez discutables), elle est le ciment d’une nation immense à la diversité incroyablement riche. Mais cette nation est unie par la foi. Quelle que soit la confession de chacun, ils croient tous en un dieu, en quelque chose qui fait que tout avance. 

C’est ce quelque chose, cette foi, qui fait que ça fourmille, qui fait qu’on aide les aînés à monter les 50 marches du temples, c’est ça qui fait qu’on fait la circulation pour un car sur une route de montagne. 

Je suis convaincue que notre foi, en l’avenir, en dieu, en nous même, en quelque chose… c’est ça qui fait qu’on avance, qu’on ne perd pas le nord, qu’on maintient le cap malgré les tempêtes.

Je pense que tout bon dirigeant, leader, manager a au creux du ventre ce quelque chose qui l’anime, ce truc auquel on croit qui fait qu’on continue à avancer même aux heures les plus sombres. 

L’Inde m’a rappelé que ma foi était quelque chose qui allait au-delà d’une simple question religieuse, elle m’a reconnectée au courage de croire en mes rêves les plus fous dans la douceur et la simplicité.

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