Faut-il avoir un avis sur tout ?

Si j’en crois mon expérience personnelle – principalement faites sur les réseaux sociaux et depuis le comptoir des bars où j’ai fait pas mal d’heures pour payer mes études (et soutenir mon business aussi) : OUI

J’ai entendu des histoires abracadabrantesques, j’ai beaucoup ri en séchant des verres et en servant des cafés calva à des heures qui défient le bon sens. J’ai trouvé ça amusant de voir les habitués débattre au comptoir, ils ne se voient jamais ailleurs qu’ici et tous les sujets y passent : politique, économie, diplomatie, culture… De la playlist du bar au dernier conflit international, de la grand-mère très religieuse au pilier de bar qui prend un médicament entre ses galopins pour pouvoir en ingurgiter un de plus, il y a toujours un avis sur tout. Sauf qu’à mon comptoir je souris mais la majorité du temps je suis abasourdie par l’absurdité des théories fumeuses exposées de l’autre côté du bar. Si vous n’avez jamais fait l’expérience de la conférence de comptoir, il faut que vous alliez passer une matinée dans un bar de quartier, asseyez-vous à portée d’oreille du comptoir et savourez. Je vous préviens, vous risquez de grincer des dents, d’avoir envie d’hurler à l’ineptie, d’éclater de rire et peut-être même de prendre vos jambes à votre cou. 

Réseau social is the new comptoir

J’ai lu il y a des années que les réseaux sociaux avaient remplacé les comptoirs de bar. Je ne peux qu’approuver ce terrifiant constat. Je suis sûre que, comme moi derrière le comptoir, vous êtes souvent gênés en voyant des opinions terriblement gênantes, pour ne pas dire problématiques, s’afficher sur vos écrans. 

L’écran agit sur l’utilisateur comme le calvados sur les clients: il désinhibe. C’est comme cela que nous nous retrouvons avec une population d’experts en tout et n’importe quoi sorti de derrière les fagots. L’effet calva est contagieux, ainsi la télévision (qui reste la principale source d’information en Europe) est elle aussi une extension du comptoir qui se fait son écho. Tout le monde a un avis sur tout, surtout ceux dont on n’a pas envie d’entendre parler. Il est prouvé statistiquement que lorsque les journalistes cherchent des experts pour témoigner sur divers sujets ils trouvent plus facilement des hommes que des femmes, quitte à avoir une personne moins qualifiée en interview (heureusement il existe des initiatives pour permettre un rééquilibrage de ce côté). Le cercle vicieux est en marche, on interroge des pseudo-experts (pas toujours, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit) et on sert ça à un public qui se retrouve pseudo informé, on nourrit ainsi des pseudo-débats. Ainsi la magie du comptoir est préservée et le calva peut continuer d’étancher la soif de ceux qui ont, par la grâce de l’approximation, un avis sur tout. 

Mais comme je vous le disais il n’y a pas que les amateurs de café calva qui se délestent librement de leurs opinions. C’est un sport international – nous avons ainsi reçu des conseils avisés de la part du président d’une puissance mondiale concernant la résolution de la pandémie qui nous a frappée de plein fouet. Heureusement il reste une once de bon sens dans une bonne partie de la population et les shots de javel n’ont jamais eu le succès escompté par ce cher Donald. 

Vous avez dit « tiré par les cheveux » ?

J’ai décidé d’écrire sur ce sujet pour deux raisons : mon article sur la solitude me prend beaucoup plus de temps que prévu et Beyoncé à sorti une gamme de produits capillaires. 

Il est de notoriété publique que Beyoncé n’est pas de ces artistes qui donnent des dizaines d’interviews, les images de sa famille que nous voyons sont principalement celles qu’elles utilisent dans la scénographie de ses tournées. Donc, lorsqu’elle annonce sa marque de produits capillaires Cécred autant vous dire que les rois et les reines des opinions sans fondement s’en sont donné à coeur joie. J’ai vu passé un nombre incalculable de posts, threads, articles (plus rares car il faut un peu de courage pour développer son propos et quand il est fondé sur du vent c’est plus pratique de se limiter à une grosse centaine de caractères) et autres stories sur l’échec inéluctable auquel la marque pas encore lancée était vouée. Beyoncé n’a pas une marque personnelle forte, tous ses produits dérivés (parfums, vêtements) ont fait un flop, c’est encore une idée qui va finir au fond des oubliettes. Tout comme on l’a critiquée pour Renaissance, et tout un tas d’autres initiatives et risques qu’elle a pris, internet s’est déchaîné (en même temps, l’absence de chaînes rend le processus presque trop simple).

Et puis il y a eu la pub Verizon diffusée à la mi-temps Superbowl, l’annonce de son prochain album et la mise en ligne de deux premiers titres. Tout à coup, c’est le grand chambardement. La Beyhive (dont une partie avait avoué en ligne ne pas être sûre d’acheter les produits qui seraient certainement trop cher et pas super qualitatif) est électrisée : we’re going country! En même temps Beyoncé termine le show du Renaissance Tour sur un immense cheval à facettes, et nous avons tous mis nos plus beau stetson pour aller danser sur ses sons house – on aurait pu voir venir ce virage tout à fait contrôlé. 

Tout à coup les internautes trouvent Beyoncé géniale, l’article dans le magazine Essence, le shooting avec Tina Knowles, le plan marketing est cousu main. Croyez-en ma vieille expérience (et l’indécence de ma passion pour tout ce qui touche de près ou de loin à Queen B) cette ligne de produits c’est un choix stratégique qui a toutes les chances de fonctionner. Parce que si “uncle Johnny made her dress” c’est sa mère qui s’est toujours occupé de ses cheveux, et le salon de coiffure de Miss Tina pourrait être considéré comme un lieu de pèlerinage. C’est là que les Destiny’s Child ont démarré, c’est là que le travail acharné à commencé, c’est la genèse du mythe que vous connaissez tous aujourd’hui. Beyoncé capitalise sur sa légende, sur son héritage. Elle n’a pas une marque personnelle forte ? En êtes-vous si certain ? Quid de sa chevelure légendaire ? Vous commencez à voir pourquoi Cécred ce n’est pas un simple produit dérivé ?
Ainsi ceux qui jetaient la marque au feu avant même d’avoir réfléchi plus de 3 minutes se retrouvent à chanter les louanges de Beyoncé et de sa stratégie. Les mêmes. J’ai bien vérifié les threads et posts sur Instagram, je déteste le name and shame donc je ne vous ferai pas le plaisir de capture d’écran, je vous laisse faire vos recherches.

Cet exemple est une goutte d’eau dans l’océan des absurdités que je vois passer sur Internet chaque jour. En même temps, quand on aime les femmes qui réussissent on est vouée à les voir se faire insulter de manière plus ou moins directe à la moindre opportunité – je vous parlerais sûrement un jour de la haine de la réussite en général, celle des femmes en particulier. 

Attention je ne dis pas qu’il est interdit de changer d’avis, de se tromper et de revenir sur ses propos. Au contraire, je trouve qu’être capable de changer d’avis après avoir fait ses recherches ou pour d’autres raisons d’ailleurs est une véritable qualité dont peu sont dotés. C’est d’ailleurs une qualité qui s’entretient. Garder l’esprit ouvert, étudier les arguments qui s’opposent aux nôtres avec sincérité pour échapper le plus possible au biais de confirmation sont des gymnastiques qui viennent faire des bleus à l’égo alors souvent on les fuit sans même s’en rendre compte. 

Les gens qui doutent

Mon point est assez simple : vous n’êtes pas obligé d’avoir un avis sur tout.

Je ne comprends pas à quel moment nous avons perdu de vue ce postulat qui me semble pourtant assez simple. Il est évident que nous ne pouvons humainement pas avoir assez d’informations sur tous les sujets qui se présentent à nous afin de former un avis cohérent et pertinent. Ce n’est pas un signe de faiblesse ou de manque d’intelligence de ne pas avoir d’avis ou de dire “je ne sais pas”. Je crois même qu’à notre époque il faut beaucoup de courage à celui qui n’a pas d’avis.
Demandez à mon partenaire s’il aime recevoir mes foudres quand nous discutons de sujets féministes sur lesquels il s’estime trop peu renseigné pour avoir un avis. Il m’écoute, me pose des questions mais quand je m’exclame “t’es pas d’accord?!” et qu’il répond calmement “je ne peux pas avoir d’avis, je ne connais pas assez bien le sujet” croyez-moi il est courageux (compte tenu de la rage qui m’habite face à cette réponse légitime mais tellement frustrante).

Il est donc naturel de ne pas avoir d’avis et vous pouvez tout à fait prendre le temps nécessaire pour construire votre opinion, c’est même mieux si vous le faites.
Une des choses que j’ai préféré durant ma prépa à Lyon – en dehors des révisions sur ma terrasse (oui j’ai eu énormément de chance) – c’est l’incessante pression de notre corps professoral pour que nous formions nos opinions propres. On démultipliait les sources d’informations, on a appris à les confronter, à réfléchir plus loin que ce que la presse disait. On a appris à réfléchir pour nous. Ils ont été les rémouleurs de mon esprit critique (qui partait avec une longueur d’avance grâce au terreau fertile que formait mon amour de la contradiction). Seulement tout le monde n’a pas appris à faire ça, et c’est assez fastidieux d’aller à contre-courant et de dire au monde “attendez je réfléchis, je n’ai pas encore d’avis”. Pire parfois je décide que je n’ai pas envie d’avoir un avis sur une question, oui je le décide et c’est mon droit. Je ne vais pas m’étendre sur notre devoir moral face à certains sujets qui est profondément lié à notre devoir citoyen à mon sens (il me faudrait beaucoup plus longtemps pour vous expliquer cet avis et ce n’est pas l’objet de cet article).

Alors comment fait-on pour se construire une opinion ? Et surtout comment fait-on quand on en a pas ?

I never allow myself to have an opinion on anything that I don’t know the other side’s argument better than they do.

— Charlie Munger

Il n’y a pas trente-six solutions, vous allez devoir faire vos recherches. Si vous voulez avoir une opinion solide sur un sujet je vous suggère de vous armer de patience et de curiosité, de faire vos recherches en diversifiant au maximum vos sources. A nouveau, la qualité de l’information et l’expertise de la source qui vous la procure sont deux variables non-négligeables.

Un bon moyen aussi de vous faire une opinion est de comprendre les différents points de vue en demandant aux personnes autour de vous qui auront des opinions différentes (et souvent bien tranchées) comment elles en sont arrivées à cette conclusion. Dites-leur que ça vous aidera à forger votre opinion et normalement le tour et jouer. La clé pour avoir un avis qui tient la route c’est d’être patient, d’écouter avec attention et de toujours faire le travail de recherche.

Ne croyez pas les personnes qui vous servent des statistiques à la louche sur parole, quelles sont leurs sources ? Quid de l’échantillon utilisé ? De sa taille ? etc. Nous vivons dans un monde où on régurgite éhontément des chiffres faux à la télévision en campagne électorale, alors autant vous dire que Jean-Michel-j’ai-tout-vu-je-vais-t’expliquer-la-vie il va pas se gêner pour vous sortir des énormités avec un aplomb impressionnant. Je vous en conjure ne devenez pas cette personne. Vérifiez vos statistiques ! Si vous trouvez des choses sur les réseaux sociaux demandez leur source aux personnes qui créent le contenu. Et vérifiez ! Je mets des points d’exclamation parce que c’est essentiel de faire votre enquête. Prenez l’habitude de ne pas simplement utiliser une info qu’on vous sert en 30 secondes dans une vidéo sur TikTok. Je vois trop de personne m’envoyer des reels ou autres et me dire “t’as vu ça” (si c’est des loutres, merci mille fois à vous), oui j’ai vu mais as-tu vérifié d’où ça sort ? Est-ce que le contenu a été édité ? Quel est le contexte ? Est-ce que la personne qui partage a un intérêt à promouvoir un angle plutôt qu’un autre ?
Je pense que vous voyez où je veux en venir. 

Pour les sujets sur lesquels vous n’avez pas d’avis. 

Exemples : 

  • Quel est le matériau optimal pour les semelles des chaussures qu’on utilise pour faire des claquettes ? 
  • Qui est le meilleur joueur de pipo de France ?
  • Qu’est ce que je devrais me cuisiner ce soir ? 

Et bien c’est assez simple : 

  1. dites simplement que vous n’avez pas d’avis sur la question
  2. si on insiste, expliquez que vous n’avez pas assez de connaissance sur le sujet et éventuellement invitez votre interlocuteur à développer son opinion
  3. si on insiste et que c’est désagréable vous pouvez changer de sujet ou quitter la conversation

Cela peut sembler radical à certains mais vous avez le droit de dire “je préfère en rester là sur ce sujet”. Je le fais souvent quand je n’ai pas l’énergie de débattre avec des personnes qui font preuve d’autant d’ouverture d’esprit que mes neveux quand on leur explique que non, la Switch n’est pas la solution pour obtenir d’eux du calme. Rien ne vous oblige à donner votre avis. J’ai des opinions très tranchées sur certains sujets que je ne partage pas selon les personnes avec qui je suis. Je choisis les moments et les personnes avec qui débattre de certains sujets, pour me préserver et pour me nourrir dans des conversations qui se feront intelligemment. Je ne souhaite pas prouver que j’ai raison mais bien éprouver mes arguments et potentiellement changer d’avis si je vois que les arguments d’en face ne laissent aucune chance au mien (parce qu’ils sont solides et non pas parce qu’ils sont péremptoires). 

Voilà, je n’ai pas grand chose à ajouter sur le sujet… Si, peut-être cette vidéo pour celles et ceux qui doutent encore et toujours.

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